Interview de Virginie DESPENTES

Café Royal Villiers, Paris XVIIe . Le jeudi 11 avril 2002.

Dans Teen Spirit, le quatrième roman de Virginie Despentes, il est question de Sandra, journaliste punk-rock parisienne, d'Alice, business woman bourge, mais aussi et surtout de Bruno, génie en puissance, trop feignant pour le devenir vraiment, qui, après deux ans de claustrophobie aiguë et en seulement deux jours, se fait virer de chez sa copine et apprend qu'il est le père d'une ado de treize ans, Nancy.
Bien que le style ait peu progressé ici, on est bien loin, vous l'aurez compris, des meurtres en série, des scènes de cul et de défonce en avalanche des précédents romans. Et c'est tant mieux. La Despentes nous prouve qu'elle n'est pas en état stationnaire, n'en déplaise à certains. Mais, avec sa paire de lunettes de secrétaire (de films porno), ses cheveux blonds et son tailleur noir, voudrait-elle nous faire croire qu'elle s'est assagie, ou cherche-t-elle seulement à brouiller les pistes ? Réponse, maintenant.


Damien : Elle est plus effrayante que William Friedkin dans son premier roman Baise-moi, plus reconnue que Molière avec Les Chiennes savantes, plus top credibility qu'Ophélie Winter dans Les Jolies choses, mais à travers son nouveau roman, Teen Spirit, aussi mémorable que Kurt Cobain, elle c'est Virginie Despentes, salut Virginie !

Virginie : Wouaih salut, et c'est super gentil ton intro.

D : Nous sommes ici pour parler de ton dernier roman, Teen Spirit, qui sort dans quelques jours chez Grasset. Commençons tout de suite par un petit résumé de l'histoire. Il y a quatre personnages principaux…

V : Wouaih il y a Bruno qui est vraiment le personnage central, Sandra sa meilleur amie, Alice la mère d'une petite fille, et la petite fille, Nancy, qui est adolescente, voilà.

D : On peut dire que Bruno c'est le génie en puissance mais trop feignant pour le devenir.

V : En tout cas il est feignant, on peut dire de lui qu'il est feignant. Du coup on sait pas si c'est vraiment un génie… possible quoi, mais il est feignant ça c'est sûr.

D : Sandra, son ange gardien ?

V : Wouaih, elle a l'air un peu plus jeune que lui, c'est une punk-rock, c'est une journaliste en même temps. Une figure parisienne.

D : Et donc, comme tu l'as dit, Alice, la business woman bourge qui te donne l'occasion d'envoyer quelques piques contre ce genre de femmes, et Nancy l'adolescente de treize ans, avec toutes les connotations que cela peut entraîner. Dès lors, pourquoi l'adolescence ?

V : Ben, à un moment donné il y a fallut écrire un nouveau livre, je me suis demandé ce qui me touchait, ce qui était intéressant pour moi, et j'ai pensé aux ados que je connaissais, j'en connais pas plein mais j'en connais quelques uns. Et puis j'ai trente trois ans donc j'écris pas le même genre de bouquins qu'il y a dix ans, et puis de toute façon faut bien que je parle de nouvelles choses, sinon j'ai qu'à arrêter de travailler, donc voilà, je me suis dis les ados ça a l'air bien. Et en plus c'est un effet pervers de Baise-moi, parce que sur Baise-moi on nous a pas mal demandé est-ce que c'est bien que les enfants voient votre film, et j'avais jamais réfléchis à ça, du coup j'ai commencé à me demander qu'est-ce que les enfants voient à la télé. C'est vrai que la première fois qu'un gamin de douze ans est venu me voir en disant Waouh, on a copié ton film, il est vraiment super bien. Ca m'a fait réfléchir.

D : Rien à voir avec les petites écrivaines qui arrivent et parlent de leur adolescence ?

V : Euh non, je lis plein de trucs, un peu de tout, mais pas encore l'adolescence des petites écrivaines ! (rires)

D : Ton héros, Bruno, est un personnage masculin frappant, aussi frappant que le dynamiteur de Fnac dans Mordre au travers, et depuis cette nouvelle je me suis toujours demandé comment le travail d'écriture se faisait quant à la différence de sexe ?

V : Euh, ben c'est un peu près le même travail que pour un personnage féminin. Il y a beaucoup de garçons dont je me sens hyper proche et avec qui j'ai passé pas mal de temps, au bout d'un moment tu peux t'imaginer à leur place. C'est le même boulot pour les personnages féminins qui me ressemblent pas exactement. Je vole vachement des trucs à toute le monde, aux filles et aux garçons.

D : Ce n'est donc que du travail de fiction, d'imagination ?

V : Non, ça doit être du travail d'empathie, d'émotion, pas se défendre de ça, quand tu traînes avec quelqu'un, de lui ressembler. Ca doit être plus un truc d'ondes. Parce que je suis vachement un buvard dans la vie. (rires)

D : Pour la sortie des Jolies Choses, les journalistes te taxaient de "toujours aussi mal écrire et tant mieux". Tu as l'impression de mieux écrire aujourd'hui ?

V : Non, je crois que j'écris toujours aussi mal. (Rires) C'est clair. C'est vrai qu'il y a des qualités à ça, des vrais inconvénients je le sais, et puis c'est mon truc.

D : On peut se rendre compte tout de même que le style est beaucoup moins parlé sur Teen Spirit.

V : Je me rends pas compte moi de ça. Wouaih je pense que c'est évident, parce qu'entre Baise-moi et maintenant, j'ai tellement écrit tellement écrit tellement lu et tellement pensé à de nouveaux trucs, tellement fait plus attention à l'écriture aussi, forcement ça m'a fait changer. Mais j'ai pas une conscience nette de ça.

D : Par travail donc, plus que par volonté ?

V : Moi j'avais la volonté d'écrire un bouquin, point. Mon problème vraiment pour celui-là, c'était de l'écrire. J'ai pas tellement cherché à savoir… Pendant un an et demi je suis restée vraiment à tourner autours de ce bouquin, pas réussir à écrire, j'étais exténuée, il fallait vraiment que je l'écrive, point !

D : C'était pas par feignantise quand même ?!

V : Si, y avait une part de feignantise, c'est vrai, j'ai parfois du mal à me foutre des coups de pieds au cul. Mais y avait aussi une part d'angoisse. Aussi.

D : On arrive à la question Joey Starr. Il a horreur que quelqu'un la lui pose : avec l'âge, tu t'es calmée (dans ton écriture) ?

V : Ouaih. Je suis plus vieille, et je suis pas complètement imperméable aux choses. Au bout de la 550e critiques que je lis sur ce que je fais, il y a quelque chose qui rentre. Je le regrette ça. Et puis la vie ça te change, au bout de dix ans tu n'écris pas pareil. Le fait de gagner vachement de thunes ça te change aussi, c'est pas la peine de discuter quoi, et le fait de savoir ce que je veux faire de ma vie, écrire, et protéger ça, ça change tout. Par exemple, j'ai arrêté de boire, ça change vachement ma vie. J'écrirais pas, j'aurais pas arrêté. Mais je dois protéger mon écriture. Donc ouaih, y a plein de choses qui changent, et à tous les niveaux.

D : Tu lis vraiment les critiques qu'on te fait ?

V : Non, j'essaye de ne pas y faire attention, de ne pas les lire, mais en vérité ça m'énerve, j'aimerais bien savoir ce que machin, cet enculé dont tout le monde me parle, a dit. J'essaye de ne pas y faire attention mais tu ne peux pas complètement. J'essaye vraiment de ne pas écrire en fonction des critiques parce que c'est vraiment une perte de temps, et ça serait leur accorder une importance qu'ils n'ont pas mais. Mais ça doit faire parti de ton boulot. Ta résistance à la critique, une fois que tu es publié, ça fait partie de ton boulot. Et ceci dit, à mon avis, je m'en tire pas si mal.

D : J'ai donc une nouvelle Virginie Despentes devant moi, qui ne boit plus, et qui est blonde.

V : Ben ouaih, je suis pas en état stationnaire. Je vais pas rester ce que j'étais il y a dix ans, même si ça a plu à des gens.

D : Autre changement par rapport à tes précédents bouquins, je crois, c'est la disparition du concept de duo. Les deux filles dans Baise-moi, les deux jumelles dans Les Jolies choses. Dans Teen Spirit, pas trop ?

V : Ben si, le père et sa fille, qui vont se révéler l'un et l'autre. Mais plus que des duos, c'est plutôt des rencontres dans mes bouquins.

D : Et c'est vraiment important pour toi d'avoir deux personnages, une rencontre ?

V : Ben pour moi, oui. Parce que… Je sais pas pourquoi. (rires) J'en sais rien pourquoi. Mais faire une rencontre qui te complète, d'une façon ou d'une autre, même violente, même désespérée, ouaih visiblement ça me poursuit.

D : Virginie Despentes, c'est aussi et surtout la musique. La musique plus que l'écriture ?

V : Non pareil. Pas exactement pareil, mais autant. La où c'est pareil, c'est lire des bouquins ou écouter de la musique, c'est comme de chercher un copain ou une compagnie que j'ai pas forcement toujours dans la vraie vie.

D : Bertrand Burgalat me disait que trouver une maison de disques, c'est comme trouver une fille, c'est toujours plus facile quand on est déjà maqué.

V : Bonne théorie de Bertrand Burgalat ! (rires)

D : Dans Teen Spirit, Bruno écoute pas mal les Stooges dans son walkman. Quant à toi, la musique t'aide à écrire ?

V : Ouaih, ouaih, mais je me souviens plus ce que j'ai écouté en janvier. J'écoute de la musique tout le temps de toute façon. C'est bizarre, sur les autres je me souviens bien, sur celui-là je me souviens pas. Ca devait être Macy Gray, de toute façon j'écoute ça depuis six mois, je sais bien que c'est débile, mais j'écoute Macy Gray depuis six mois en boucle.

D : Bruno emmène sa fille à un concert de musique de jeune et reconsidère tous ces a priori sur cette musique. Tu as eu la même démarche pour ce qui sort en ce moment, niveau musique ?

V : Ben pas un reconsidération, mais ce concert, le show-case de Kickback, j'y suis allée pour de bon et je me suis dit c'est vrai qu'il se passe quelque chose, c'est vrai que ça le fait, c'est pas parce que je suis trop vieille pour y être qu'il ne se passe rien ! Les concerts metal, je comprends bien, il se passe un truc, c'est cool pour les gamins quoi. Mais moi je m'y sens vieille, y a un truc désagréable pour moi.

D : Arrêtes, tu n'as que trente trois ans. C'est comme Bruno, il a trente ans et il est déjà au bout du rouleau. C'est pas en peu jeune ?

V : Non, il me semble qu'il y a plein de trentenaires autours de moi qui passent une sorte de crise, c'est pas une crise d'adolescence, c'est une crise d'adulterie, de maturité ouaih, ça y est on va y aller on le sent, et pour beaucoup c'est un passage difficile. Y a pas que pour moi. C'est vraiment un cap difficile à passer.

D : A la lecture des passages avec Bruno, j'ai pas pu m'empêcher de penser à Patrick Eudeline, l'ombre de Patrick planait sur Bruno. Je me faisais des idées ou ?

V : Oui, mais ce sont de bonnes idées. Elles ne me déplaisent pas. Mais moi je n'y avais pas pensé. Patrick c'est quelqu'un que j'aime vraiment donc ça se peut. Mais je pensais à d'autres auteurs.

D : Il existe déjà deux romans dans lesquels Patrick est fort présent. Superstars d'Ann Scott, à travers le personnage de Nikky. Et Dansons sous les bombes, son roman. Est-ce que Teen Spirit est le troisième roman de la trilogie…

V : Trilogie eudelienne ? Ben non, j'y avais pas pensé, mais pourquoi pas. Moi je veux bien. Pas de problème.

D : Donc pour Noël 2002, un packaging Trilogie eudelienne.

V : (rires)

D : Teen Spirit commence par Pour Delphine. Delphine, Sextoy, avec qui tu as travaillé.

V : J'avais rencontré Delphine il y a huit neuf ans, par Ann Scott, quand j'habitais avec elle, on avait accroché quand même tout de suite, et après on avait fait des lectures ensemble, ça s'appelait Alien Sex Friends, on était parti on faisait des trucs c'était rigolo, et après elle avait fait un morceau pour la BO de Baise-moi, avec Jennifer, et c'est quelqu'un que j'aimais vraiment, que j'aimais vraiment. Donc c'est bizarre. (ndlr : Delphine est décédée en février 2002)

D : Troisième personne dont tu es très proche, c'est Philippe Manœuvre. Avec qui tu travailles dans Rock & Folk. Comment tu t'es retrouvée à travailler avec ces vieux briscards de R&F ?

V : Ben c'était pour le film Baise-moi. Il est venu nous interviewer avant l'interdiction, pour faire Mes Disques à moi dans Rock & Folk, et c'est vraiment le seul journaliste qui nous ait mis la pêche. Tous les autres partent, t'es vidé, t'es hyper mal, tu te demandes ce qu'ils vont encore écrire. Et lui il est parti et on s'est dit avec Coralie oh il est vraiment super sympa. Et après on s'est vu et vu et revu. Et pour Rock & Folk j'ai fait des articles, c'était cool.

D : C'est régulier ?

V : Non, c'est quand il y a une occasion. Quand Philippe pense que ça serait bien que je le fasse. Ou quand personne ne veut le faire, genre les Ramones. (rires)

D : J'ai lu dans certains papiers que l'on te comparait à Lydia Lunch. Au même moment, Romain Sloccombe apparaît dans Teen Spirit. Ces deux personnes représentent l'imagerie SM. D'après toi, le SM a apporté quoi à l'art, au sexe et à tout ça ?

V : Je sais pas si c'est une étape majeure, mais en tous les cas ça m'intéresse. Ce que ça a donné dans la BD, la littérature aussi, dans la rue, la façon dont les gens s'habillent ça me fait toujours délirer, dans le rock vachement, très clairement.

D : Tu lisais Bazooka quand tu étais ado ? (ndlr : Sloccombe participait à Bazooka).

V : Bazooka non. Je lisais plein de trucs mais pas Bazooka. Mais je devais être trop petite. Ca a du se jouer à deux ans. Tu sais à cet âge-là !

D : Autre intérêt. L'intérêt que tu portes pour le 11 septembre, le mur de Berlin. Qu'est-ce que tout ça a apporté à la littérature ?

V : A la littérature pas grand chose. Maintenant symboliquement, je me souviens bien de la chute du mur de Berlin, de Libé qui trouvait ça formidable. On était plusieurs à voir ça, on était vraiment perplexe. Le libéralisme grand vainqueur. Allez les gars c'est vraiment formidable on va pouvoir être capitaliste partout dans le monde on va pouvoir s'éclater. Ca correspondait à une certaine aggravation des choses, et à une accélération de l'aggravation des choses.

D : Teen Spirit et Dansons sous les bombes se concluent tous les deux sur le 11 septembre. Mais que s'est-il donc passé ce 11 septembre ?

V : Ben en tous les cas ça nous a marqué. Ca m'a fait rire quand j'ai vu le bouquin de Patrick, qu'on finissait sur le même truc un peu prêt quoi. Moi ça m'a tellement traumatisé que je pense que ça va être une date charnière, ça a eu un impact fort sur les inconscients, sur les imaginations, ça a été le signal de la fin de quelque chose, on avait jamais vu ça. Ca a vraiment changé quelque chose dans ma tête. De la grande panique, mais à la fois je me dis qu'il va peut-être se passer un truc cool, mais la plupart du temps je me dis que ça va pas être cool du tout, que ça va être super atroce.

D : Sans vraiment s'écarter de l'idée de 11 septembre, j'aimerais que tu me donnes une définition du mot "fasciste".

V : Non, pourquoi moi, je suis pas le Nouvel Obs. Non non. Fasciste c'est l'Italie. Non j'ai pas de définition.

D : Tu l'as bien compris je voulais que l'on revienne sur l'histoire que tu as eue avec le Nouvel Obs.

V : Après l'interdiction du film, le Nouvel Obs avait fait une couv avec une des actrice du film, Karen, en bikini avec un gros gun, ils avaient écrit "Pornographie" en super gros et en tout petit en dessous "Le droit de dire non", et dans l'article ils nous traitaient de fascistes alors qu'ils n'avaient pas vu le film. Au début de l'article ils résumaient le film mais en fait c'était le livre, parce qu' ils avaient pas vu le film avant de faire un dossier de seize pages quand même pour nous traiter de fascistes. Je pense qu'ils traitent vachement les gens de fascistes, c'est pas personnel, mais dès que quelqu'un fait quelque chose qui leur plait pas, il est fasciste pour Joffrin. Ma théorie sur Joffrin, c'est qu'il voulait montrer à ses potes du gouvernement qu'il avait vraiment un gros journal, alors il a sorti sa grosse couv et c'est vraiment un gros con quoi. Du coup je fais attention à lui, je l'ai écouté à la radio, quand les fonctionnaires faisaient la grève, et lui qui expliquait que les fonctionnaires ne devraient pas se plaindre, ça me fait, enfin je rigole à chaque fois que je l'entends. J'imagine ce qu'il gagne par mois, où il habite, dans quoi il habite, et il se permet de juger les fonctionnaires. Il fait un peu le laquais du pouvoir. Arlette Laguillier fait des points, sbing il sort sa couv encore sur elle "Attention Arlette Laguillier elle est vraiment craignos". Tu sais, dès que les socialistes ont un problème, lui il est là. Ceci dit, sur le coup, comment ça m'a pas plu putain.

D : Tu l'as vraiment mal vécue cette histoire ?

V : Sur le coup ouaih, maintenant non. Il y a eut une année super chiante, maintenant je sens surtout la fierté de l'avoir fait. Quand il se passe un truc, tu sens d'abord les trucs négatifs, et après les trucs solides, qui restent le plus longtemps, ce sont quand même les côtés positifs. Et Baise-moi au final, c'est vrai que c'est super positif.

D : Tu en as plus contre le Nouvel Obs ou contre Familles de France ?

V : J'en ai plus contre les socialistes, à fond. J'en avais déjà pas mal contre eux avant, mais là ça n'a pas arrangé mes affaires. Familles de France non, eux ils font leur boulot de faf, ils ont le mérite d'être des fascistes claires, leur intolérance est clairement exprimée. Ca m'énerve des enculés qui se disent de gauche et qui sont pas à gauche que des gens qui sont clairement d'extrême droite, ceux-là au moins on sait, on est pas d'accord, on est super pas d'accord c'est clair. Le Nouvel Obs ils sont pas de gauche, ça m'énerve qu'ils disent qu'ils sont de gauche. C'est comme Les Inrockuptibles ça m'énerve, Télérama ça m'énerve, ce sont pas des gens de gauche point. Ca vraiment, ça m'énerve. Là je trouve qu'on nous a volé un truc important, à partir de mai 81, ce sont vraiment des fils de putes, vraiment des trous du cul qui ont occupé ce terrain, c'est pas leur terrain il faut qu'ils en partent, parce qu'on a besoin de retrouver une gauche pour de bon. En même temps moi tout ça, je sais pas si j'y crois vraiment, je sais pas si ça va vouloir encore dire quelque chose dans quinze ans. Mais ils ont vraiment accélérer le processus des fossoyeurs, et je trouve ça impardonnable, si tu es un enculé de centre droite tu le dis, t'es pas de gauche point.

D : Je suis content de retrouver la Virginie rebelle que je connaissais.

V : Pour ce qui est d'être énervée, ça va, ça ne me passe pas. Et puis le fait d'arrêter de boire, ça arrange pas je vais te dire. (rires)

D : Précisons qu'effectivement tu bois du thé. Et moi de la bière.

V : Mais tu verras, à mon âge, tu arrêteras sûrement. (rires)

D : J'aime comparer ton film à ce chef d'œuvre qu'est Orange mécanique, apparemment ce n'est pas de l'avis de tout le monde.

V : Chef d'œuvre non, mais je pense que c'est un film vraiment bien réussi, chaque fois que je le revois je suis putain de fière. On l'a bien fait. Mais c'est jamais que ce truc-là c'est clair, mais on a réussi notre truc. C'est le bon côté de l'adversité, ça renforce ta self-assurance.

D : Et Les Jolies choses au cinéma, pourquoi tu n'étais pas dans l'affaire ?

V : Parce que j'ai rencontré ce gars qui voulait le faire, j'ai décidé c'était cool qu'il le fasse, et après c'est à lui de le faire. Moi si j'interviens, faut que ça soit moi la chef sinon c'est même pas la peine que je sois là. Je l'ai laissé faire son truc, et je suis contente, je l'aime bien son film.

D : L'accueil du public, pas terrible.

V : 250 000, je trouve que c'est un bon accueil. C'est pas le carton mais c'est quand même vachement de gens qui ont été voir cette histoire. Maintenant il va être en location, les gens vont le regarder encore. Je trouve ça con de vouloir que tout cartonne à chaque fois. 250 000 personnes c'est pas rien, c'est jamais que Les jolies choses. Moi je trouve ça bien, ça me fait plutôt plaisir.

D : Soyons optimistes, utopiques même. Tu as dit dans Technikart, pour ne pas les citer, que la littérature c'était encore pure et possible. C'est le moment de t'expliquer vraiment.

V : Moi j'ai dit que la littérature c'était… Non, c'est Philippe Nassif qui a trafiqué, j'ai dit que c'était encore pure et possible. Mais ceci dit c'est encore pour quelque temps relativement protégé par rapport aux disques ou aux films ou à la télé ou à la presse. C'est un domaine encore vachement privilégié, mais c'est en évolution, ça va changé ça encore. Pour l'instant il y a encore moyen de bosser correctement. Mais on voit bien avec Houellebecq par exemple, c'est limite, faut pas écrire des livres trop biens trop intéressants. Mais il y a encore moyen de biaiser, de faire de la SF, en tous les cas y a encore moyen d'écrire ton livre sans qu'on t'emmerde et de le sortir comme tu le voulais. C'est déjà pas mal.

D : T'aimes bien Houellebecq ?

V : Houellebecq ouaih, j'aime bien Houellebecq. Ben je trouve qu'il a un niveau, je me sens pas forcement proche, mais je trouve qu'il a vraiment un niveau, que c'est niveau, suffisamment pour être salué. J'avais bien aimé Extension du domaine de la lutte mais j'avais pas fait plus gaffe. Et puis il s'est mis à écrire dans les Inrocks toutes les semaines, et ses billets étaient impeccables, à la virgule près, alors que c'est vachement dur d'écrire un petit billet toutes les semaines. Et c'est là que j'ai commencé à comprendre à quel point son style était clair, précis, ses concepts fonctionnent les uns avec les autres, même s'ils sont ce qu'ils sont mais tu vois, mais vraiment c'est d'un niveau. C'est là que j'ai commencé à lire Restez vivant, je trouve que c'est un bouquin extraordinaire. Il arrive à écrire d'une façon dix neuvième totalement contemporaine, il arrive à mixer deux trucs immixable, et il y a que lui qui fait ça. Moi, dès que quelqu'un a du talent, je suis pour. D'ailleurs je trouve ça incroyable ce qui a pu lui arriver pour Plateforme. Dès qu'il y a un truc intéressant, sbing il est cassé d'une façon ou d'une autre, le débat est cassé, voilà parce qu'il a écrit une phrase de travers dans le livre, je trouve ça inquiétant vraiment. Il a quand même eu un procès pour avoir dit ce qu'il pensait dans un journal. Il a quand même bien le droit de penser ce qu'il veut. C'est inquiétant que le tribunal accepte une plainte pareille. Dire ce que tu penses, ça me semble élémentaire.

D : L'amalgame qui a été faite portait surtout sur la distinction entre fiction et idées personnelles de l'auteur.

V : C'est quand même la base. Dans un livre, il y a une distance, premièrement. Deuxièmement, des gens sont racistes, ils vaut mieux le savoir, savoir comment ils pensent. Un mec raciste il a le droit de s'exprimer, qu'on comprenne ce qu'il a dans la tête, c'est pour ça aussi les bouquins. De toute façon ça existe, on va pas les brûler les gens qui n'ont pas les idées qu'on voudrait.

D : Ce procès à deux balles, c'est pas ce qui s'est un peu passé pour Baise-moi ?

V : Dans la tête des socialistes, des libéraux, les disques les films doivent servir simplement à vendre d'autres trucs. Les disques vont pouvoir vendre des pubs dans les journaux, les bouquins ils savent pas bien quoi vendre avec ça, mais avec les films ils savent bien. Autre chose, il faut pas. Et moi je trouve ça carrément emmerdant. Si on nous enlève les bons bouquins les bons films les bons disques, ça va être irrespirable. Insupportable, tu vois ce que je veux dire ? C'est le seul truc vraiment bien dans ce monde. Si ça devient interdit, soit économiquement, soit légalement, ça va être insupportable. Parce que les vrais messages qui passent avec Baise-moi et avec Houellebecq, ce sont des messages qui s'adressent aux producteurs et aux éditeurs et qui leur disent travaillez pas avec des gens comme ça vous aurez des problèmes. Et après ils vont en tenir compte quoi. Lorsque l'on n'aura plus que des écrivains, des chanteurs qui ne pausent pas de problème, on va vraiment se faire chier. Aujourd'hui, je pense qu'une major ne signerait plus NTM. Et moi je suis bien contente qu'il y ait eu NTM, quand les choses sont bien ça t'aide.

D : Des Houellebecq, des Despentes, tu crois vraiment que les maisons ne se les arracheraient plus ?

V : Ouaih mais il y a intérêt à montrer pattes blanches. Si régulièrement je fais un truc, on me tombe dessus je pose problème, au bout d'un moment on me publiera plus, idem pour Houellebecq. Après Baise-moi franchement, les producteurs se battent pas pour faire un film avec moi je vais te dire. On a pas dépassé les budgets, on a fait chier sur rien, mais simplement, on en refera un film, mais on aura du mal.

D : Et tes incursions dans la musique. Tu as écris une chanson pour X-Ray Pop.

V : Non, j'avais fait des incursions dans la musique avant, mais pour X-Ray Pop ça ne s'était pas fait. Je sais plus pourquoi. Mais écrire des textes, ouaih, j'ai envie de prendre la tête à la fille d'AS Dragon, Natacha, pour lui faire une chanson. Mais je suis pas certaine que… mais je vais aller lui parler.

D : Bon, nous arrivons aux termes de mes questions. Je vais te remercier et te souhaiter une bonne soirée. Devant le Loft 2 ?

V : Ben ouaih. L'année dernière j'avais manqué deux semaines, mais cette fois-ci, y a pas moyen.