Interview de Marianne FAITHFULL

Clermont-Ferrand, le 10 octobre 2002.

Elle a toujours été considérée comme la maîtresse de, la femme de, ou la muse de. Elle a toujours été assimilée et réduite aux hommes qu’elle avait rencontrés. Elle se bat pourtant pour défendre son oeuvre, personnel et touchant.

Elle, c'est Marianne Faithfull.

 

Milieu des années 60. Le monde appartient aux Anglais. Beatles ou Rolling Stones. Ces garçons jouent, voyagent, se défoncent. Les filles quant à elles sont groupies, divertissantes, potiches yé-yé dans le meilleur des cas. C’est dans cet atmosphère d’ébullition sonore et de misogynie pesante qu’apparaît un soir dans une boite de Londres cette jeune fille de 17 ans, tout droit sortie de son couvant. Visage juvénile et beauté naïve, Marianne Faithfull est remarquée par Andrew Oldham, le manager de Jagger et Richards, … vous connaissez la suite. Quarante ans après, passée par tous les styles musicaux, du rock au jazz via le cabaret, la dame revient avec un nouvel album, Kissin Time, et une tournée internationale à la clé. Le 10 octobre dernier, elle était à Clermont-Ferrand pour un concert incroyable, l’occasion inespérée pour nous de la rencontrer.


Damien : Sur votre dernier album, Kissin Time, vous avez travaillées avec Beck, Billy Corgan, Jarvis Cocker ou Etienne Daho qui ont chacun leur style de musique et, sans doute, leurs méthodes de travail propres. Qu’avez-vous appris d’eux, et qu’allez-vous réutilisez dans votre musique à venir ?

Marianne : J’avais besoin de découvrir les nouvelles techniques d’enregistrement, et de production. Je ne connaissais rien de tout ça. Mais j’étais curieuse de ce que l’on pouvait faire avec. J’avais besoin, je voulais apprendre. Et quel bonheur de le faire avec les meilleurs, Beck ou Billy, … Oui, je veux rester ouverte aux possibilités que donne la technique, pour ne pas être à la traîne. Mais je suis certaine que rien ne remplacera jamais de vrais musiciens, avec de vrais instruments, …

D : Dans cette magnifique chanson que John Lennon vous a écrite en 1979, Working class hero, vous chantiez les traumatismes de l’enfance… Beaucoup de choses se sont passées depuis cette époque… Quelle part d’enfance gardez-vous encore en vous ?

MF : J’aime beaucoup cette chanson. Je la chanterai ce soir... (Tasse de thé) A ce sujet, Picasso avait une très bonne définition. Il disait que l’artiste reste toujours un enfant au fond de lui. Moi, je crois que j’ai beaucoup de chance, je n’ai pas perdu toutes ces qualités des jeunes années, comme la joie de vivre…

D : Nous pourrions parler des heures durant de votre carrière musicale, … moi ce qui m’intéresse également, c’est votre travail d’écriture, votre côté femme de lettre. Vous avez déjà publié votre autobiographie Faithfull, et vous vous apprêtez à sortir votre journal intime. Où se trouve la différence exactement entre ces deux exercices ?

MF : En réalité, ce n’est pas moi qui ai écrit cette autobiographie. J’ai fait intervenir un ghostwriter (nègre en français). J’écris des chansons. Je ne suis pas écrivaine. J’aurais aimé savoir écrire, vraiment. Mais je ne peux pas. Je n’arrive pas à me concentrer. J’ai cependant appris et perfectionné une technique afin de mettre le maximum d’histoires, de sentiments et d’émotions dans un minimum de mots, comme dans les poèmes japonais. C’est passionnant... (Tasse de thé) En revanche, mon fils est écrivain. Je suis très fière de lui.

D : Plusieurs artistes et pop stars ont rédigé et publié leur Diary (journal intime), Andy Warhol le premier, Marilyn Manson plus récemment… Ne croyez-vous pas que le journal intime, lorsqu’il est publié, est une forme intellectualisée de reality je sais pas quoi, comme on voit, par exemple, la vie d’Ozzy Osbourne sur MTV ?

MF : Oui, mais moi je ne l’ai pas publié. Je voulais, mais mon éditeur l’a trouvé trop ennuyeux. Et puis, ce n’était qu’un journal quotidien. Ca me semblait intéressant. Ca couvrait la période pendant laquelle je tournais dans le film de Patrice Chéreau, L’Intimité, et l’écriture de Kissin Time, mes rencontres avec Billy, avec Beck, …Je ne crois que l’éditeur est trouvé ça vraiment mauvais, mais il a été très étonné du résultat. Lui qui s’attendait à y retrouver du Bob Dylan, du Mick Jagger, sex, sex, sex, drugs, drugs, drugs… Ce n’était pas assez intéressant pour lui ! »


J’aimerais rester plus longtemps en la compagnie de Madame Faithfull. Des dizaines de questions à lui poser. Ses projets musicaux, l’enregistrement avec Beck, le cinéma, ses souvenirs du tournage de How killed Bambi ? de Russ Meyer, avec Sid Vicious, censuré en novembre 77, … Et lui demander si, après toute ces années prisonnière de sa vie, elle se sent, enfin, libérée. Mais il y a du monde, et la star doit accueillir son public.

La réponse viendra le soir-même, lors du concert. Le concert d’une femme toujours coquette, mais maîtresse de sa musique. Une femme sereine et lucide.