Interview
de Bertrand BURGALAT
La Vapeur, Dijon. Le 24 mars 2001.
D :
Le nom des coaches pour cet album, The Sssound of Mmmusic, Eric Morand de
F-Com, Nicolas Dufournet, Yves Adrien
Concrètement, qu'ont-ils apporté,
tout d'abord à vous, et puis à l'album ?
BB : En fait, ce qui s'est passé, c'est que, vers 1995, il y avait déjà une première mouture d'album, enfin un album qui existait, qui était en train de se faire. A l'époque je n'avais pas trouvé de maison de disques, et la première personne qui m'ait encouragé à faire tout ça est Eric Morand, le premier à avoir écouté ça. Je crois qu'il l'a aussi fait écouté à Laurent Garnier " ah c'est bien tout ça ", enfin c'est le premier qui m'ait vraiment un petit peu désinhibé. Et puis ensuite, Yves Adrien. Il y a longtemps que je le connaissais et c'est lui qui a trouvé le titre etc. Et Yves il a eu un rôle qui est plus compliqué parce que c'est un disque que j'ai fait ensuite avec des difficultés y compris physiques parce que, quand j'ai enregistré, j'étais devenu quasiment aveugle et je travaillais tout seul en studio, avec les machines, c'était épouvantable. Yves il m'a, en même temps il m'a beaucoup stressé parce que c'est quelqu'un qui a une telle vision de la musique et qui a une telle ambition, du coup je crois qu'il y a eut un moment où j'essayais d'être à la hauteur de ce qu'il attendait de moi, du coup je merdais à cause de ça. J'ai l'habitude de faire la musique de façon spontanée et vraiment, c'est quelqu'un qui m'a beaucoup apporter en général, mais il a été un partner assez exigeant, assez difficile.
D : Yves Adrien s'était terré aux Seychelles, c'est grâce à vous qu'on le revoit maintenant ?
BB : En partie, mais c'était assez simple en fait. Moi j'avais lu dans les années 70 ce qu'il écrivait dans Rock n Folk, j'étais très jeune et ça me passait un petit peu au dessus de la tête. Dans les années 80 en revanche, il a sorti dans Rock n Folk toute une série d'articles qui, là, m'ont bouleversé et puis un petit peu après, vers 91, j'avais une amie qui faisait un livre sur Gainsbourg et je lui ai suggéré qu'elle le rencontre, alors qu'il n'était pas du tout un intime de Gainsbourg, et déjà à l'époque tout le monde disait qu'il était introuvable et puis j'en ai parlé à Eudeline qui m'a dit " mais si, en banlieue chez sa mère " et puis j'ai cherché sur le minitel à Adrien. C'est comme ça que je suis tombé sur lui. On est resté en contact et tout ça... Evidemment, quand on a commencé à avoir des rapports avec les éditeurs, via Houellebecq, celui-ci en a parlé à Raphaël Sorin qui avait déjà faillit éditer Növo-Vision, et c'est comme ça que les choses se sont faites. Je suis très heureux qu'il soit revenu dans le monde enfin qu'il soit revenu sur terre. Mais je crois que c'est un petit passage avant de repartir.
D : Vous êtes au courant qu'il fait une chronique mensuelle sur Technikart ?
BB : Oui oui, mais ça me paraît incroyable parce qu'il y a encore deux ans C'est quelqu'un qui est formidable, mais qui vit dans une autre hiérarchie, qui vit hors du temps, des contingences matérielles, et je trouvais ça dommage Parce que je trouve qu'il a un talent, une vision, il fallait qu'il puisse la faire partager à d'autres personnes.
D : Est-ce incroyable d'imaginer Yves Adrien chantant sur un album Tricatel ?
BB : O non, ça ne serait pas incroyable ! Ce qui est dur pour moi avec Yves, c'est que Moi j'ai l'impression que, moi le fait d'avoir un label, on est dans le monde réel, c'est à dire dans un monde qui, parfois, pour lui, peut paraître C'est quelqu'un qui est tellement en dehors des réalités matérielles que, je pense que du coup il va avoir des idées absolument sublimes, mais qui ne sont pas toujours faciles à réaliser. Et c'est sa force ! Si bien sûr, on en a parlé trente six fois. Mais en même temps, je suis très heureux qu'il soit revenu parmi nous, mais j'ai l'impression que ma mission s'arrête là.
D : Vous avez parlé il y a quelques instants de Houellebecq, j'aurais voulu savoir si ça s'était bien passée toute la réalisation de l'album ?
BB : Oui très bien. Après, les concerts, on a eu un peu deux phases, mais l'album C'est très surprenant car j'imaginais pas du tout, j'ai eu l'impression finalement que Michel, il était en train de réaliser un fantasme, alors que c'était pas du tout prévisible. Mais je pense qu'il avait une vraie vocation de rock star. C 'est drôle parce qu'il y a trois ans, un jour où Michel était là, et Yves Adrien est passé nous voir chez Tricatel et Yves a vu Michel, il l'avait jamais vu(lu ?), et il a dit " c'est Vince Taylor ", et bon quand on voit Michel, ça saute pas aux yeux évidemment, " mais si c'est un tueur ce mec, c'est un violeur, c'est Vince Taylor " et c'est drôle parce qu'il a pressenti, avec sa sensibilité unique, que Michel, sous ses airs un peu, qui en mène pas large, il représentait une électricité, y compris sur scène, qui est très rare aujourd'hui dans le rock. Plein de gens avec des accoutrements, des attitudes pseudo-rocks, sont très loin d'avoir cette intensité, et en particulier sur scène. C'est là que ça s'est un peu compliqué, je ne sais pas si c'est Vince Taylor, mais c'était presque Jerry Lee Lewis, avec le côté un peu imprévisible Il nous a séché à un concert, il y a des morceaux où le groupe commençait, il perdait ses reperds, du coup il chantait pas. On savait jamais ce qui allait se passer
D : la vrai rock star avec tous ses défauts ?
BB : Oui je pense, avec ce côté totalement imprévisible, qui est très rare aujourd'hui. Pas uniquement le côté capricieux, mais aussi le côté vraiment électrique, et d'une certaine façon violent A propos de Technikart, je trouve que Philippe Nassif avait fait un très beau papier là-dessus, où il a très bien perçu ce côté-là. A une époque où le rock en temps que tel est quand même un simulacre, y compris le rock violent, on a l'impression que les gens refont péniblement des choses qui ont été faites dix fois mieux il y a trente ans. C'était aussi l'idée d'Yves Adrien qui disait " voilà c'est l'Alpha et l'Omega du rock, c'est Vince Taylor et puis Michel Houellebecq, qui enterre le rock ". Et il y a eut quelque chose comme ça avec Michel.
D : Je sais que vous avez lu L'Extension du Domaine de la Lutte, plus généralement quels rapports avez-vous avec la littérature ?
BB : J'ai pas de très bons rapports en fait. D'abord, comme j'ai eu ces problèmes de vue - je revoit depuis un peu plus d'un an - ça m'a du coup rendu assez feignant, je lis la presse avec plaisir, mais je me suis détaché des romans, comme beaucoup de gens je trouve, beaucoup d'hommes (rires). C'est-à-dire que les romans m'emmerdaient un peu, surtout la littérature française, j'étais plus intéressé par Ballard tout ça, mais le roman me semblait tellement codifié. On a l'impression d'un exercice, un peu comme le blues avec les douze mesures, autours de ce que Stendhal et Balzac avaient pu faire, le mari, la femme, l'amant, la maîtresse et tout ça, toujours dans le même milieu social, et c'est là que j'avais trouvé, à partir d'Extension du domaine de la lutte, que Houellebecq apportait quelque chose de formidable, il parlait du monde d'aujourd'hui quand même, et il le faisait d'une façon qui ne ressemblait à rien de connu, c'était vraiment autre chose et ça, j'ai trouve ça formidable. En même temps Michka Assayas m'a dit quelque chose d'intéressant là-dessus, " Michel a fait un peu le Nevermind the Bollocks de la littérature française ", c'est le mec qui est arrivé, qui a tout cassé. Après, ce que ça va générer, je suis pas sûr que ça soit très bien, il va y avoir beaucoup de sous-Houellebecq, de gens qui vont, en parlant du quotidien, essayer de développer ça, mais qui n'auront pas son talent.
D : Houellebecq, votre dernier choc littéraire donc ?
BB : Qu'est-ce que j'ai lu dernièrement ? Je ne sais pas. Là je suis en train de lire les trucs de Jean-Alain Léger que je ne connaissais pas, que je trouve formidable. Je trouve le type très attachant, et il se fait complètement lapider par tout le milieu littéraire, et moi je ne connaissais de lui qu'Obsolète, le disque qu'il avait fait il y a trente ans avec Gong
D : Houellebecq est actuellement en vacances en Thaïlande. De retour en France, un second album est envisageable ?
BB : C'est difficile, on a vraiment eu l'impression Il y a eu quelques dates vraiment magiques en tournée, et puis après on a eu l'impression qu'il avait assouvi son fantasme. Je crois qu'il avait besoin de passer à autre chose. Je crois que maintenant il a un grand stress. J'imagine que pour lui, ça doit être très pesant de devoir écrire un nouveau livre, parce que, quand on a fait quelque chose d'aussi magistral, à la fois qualitativement et quantitativement, que Les Particules, c'est comme Brian Wilson après Pet Sounds, on se dit qu'est-ce qu'on va faire après ça ? Je pense qu'il y a de quoi un peu péter les plombs. La tournée en Allemagne, il était déjà ailleurs, il avait assouvi son fantasme et il le fera peut-être, hein, parce que l'on sent qu'il a eu beaucoup de plaisir à être sur scène. Et on sent qu'il veut être aimé.
D : Du point de vue de votre label Tricatel maintenant, question bateau mais, combien de salariés, combien d'artistes ?
BB : Il y a deux salariés, et je ne suis pas inclus dedans, je vis de mes rentrées Casem quand il y en a, mais on a deux salariés, Thomas et David, un stagiaire aussi, et autour de ça on a ensuite les cinq musiciens qui jouent avec moi actuellement (ndlr : AS Dragon) dont on veut qu'ils deviennent vraiment un élément central du label. On essaye aussi de toujours travailler avec la même équipe, le son etc. Et puis il y a maintenant de plus en plus d'artistes, cette année on va sortir un douzaine d'albums, ce qui est énorme par rapport à nos moyens. Donc oui, on essaye de faire des choses qui nous plaisent et de les faire assez librement.
D : Dj Me Dj You il y a quelques jours, bientôt Ladytron, on annonce Count Indigo
BB : on fait les cordes demain, on est en train de finir l'album, il va y avoir aussi les nouveaux albums d'April March, d'Etienne Charry, on est en train de finir tout ça, donc oui on sort beaucoup d'albums cette année, et il faut qu'on dure, plus on durera, pour le moment on a un public très averti, très pointu, et si on veut toucher un public plus large il faudra un peu de temps.
D :
Avec toujours cette idée de cohésion entre chaque groupe, c'est-à-dire
toujours la même structure de la pochette, la même
BB
:
on essaye de garder une certaine continuité, c'est-à-dire
que, on ne veut pas non plus que ça se fasse aux détriments
des artistes, mais on considère que c'est un petit puzzle et que chaque
disque doit un peu servir les autres disques, et c'est vrai que ça
a aussi des inconvénients. On se rend compte que les gens peuvent avoir
des préjugés défavorables et ça peut retomber
sur les autres artistes
J'aime pas Jean-Marie Messier, Philippe Katerine
est chez Universal qui appartient à Jean-Marie Messier, et j'aime ce
que fait Philippe Katerine, donc je vais quand même écouter ce
que fait Katerine. Mais un label comme nous c'est beaucoup moins neutre. Si
j'énerve quelqu'un, je pense que les autres artistes peuvent en faire
les frais et ça, ça nous gêne beaucoup, donc j'aimerais
me mettre en retrait par rapport à ça, mais c'est pas facile.
D : Quel est l'artiste ou le groupe que vous rêveriez de signer sur Tricatel ? A part des amis comme Katerine.
BB : Oui, Katerine, évidemment, j'attends la faillite de Vivendi, ça m'arrangerait bien. Euh ? Il y a beaucoup de gens avec lesquels on aimerait travailler mais
D : Salvador ?
BB : Oui, j'aurais aimé lui, c'était un fantasme. J'ai passé dix ans à essayer de travailler avec lui et puis, à l'époque il était chez Sony et enfin, c'était un autre monde à l'époque Donc je suis heureux de ce qui lui arrive là. Mais euh, j'ai un peu du mal à trouver une réponse parce que, en musique il y a beaucoup de choses qui m'intéressent et en même temps quand quelqu'un est déjà ailleurs, je convoite pas, au contraire, je suis très content pour lui, parce que souvent ce sont des labels qui sont beaucoup plus expérimentés que nous et donc qui s'en occupent mieux. Par exemple quelqu'un qui vient nous voir et nous dit " ouaih j'ai des offres de Sony ", je lui dis ben vas-y. Parce que nous, je pense que notre vocation c'est de faire découvrir des gens qui font des choses originales, hors normes, et qui ne seraient pas découverts autrement. Si quelqu'un d'autre veut les sortir, nous on les encourage à aller voir ces personnes, parce que l'on sait qu'ils disposeront peut-être de moyens qu'on aura beaucoup de mal à leur procurer. Mais l'avantage de faire des choses avec nous, c'est évidemment que cette absence de moyen, elle met aussi moins de pression. Quelqu'un comme Etienne Charry par exemple, qui a fait un disque vraiment hors norme et très ambitieux, 36 erreurs, je pense que s'il l'avait fait dans une grande maison de disques, il aurait beaucoup de mal à faire un nouvel album, il lui aurait mis tellement de pression. Alors que là, au contraire, on est extrêmement confiant pour le nouveau, parce qu' on sait qu'il est en train de nous faire un truc formidable. Disons que l'industrie du disque en générale, ça marche par l'envie, c'est-à-dire que, quand on va voir une maison de disque, on leur dit " voilà, vous êtes les premières personnes à qui je le fais écouter " les gens ça les intéresse jamais. Mais vous leur dites " tiens il y a EMI qui est sur le coup ", alors là tout le monde est comme des fous, c'est comme, on a beaucoup plus de succès en amour quand on est macqué que quand on est seul. C'est le même truc pour les disques.
D : Personne ô combien célèbre qui a signé chez vous, Ingrid Caven, comment s'est faite la rencontre ?
BB : C'est par Yves Adrien d'ailleurs, parce qu'il me bassinait tout le temps avec Jean-Jacques Schühl, et puis j'ai rencontré Jean-Jacques Schühl il y a un an et demi, et un petit peu après, il m'a dit " oui, on a fait ce disque avec Ingrid, on arrive pas à le sortir en France, est-ce que ça vous intéresse ? ". Et nous on s'est dit c'est formidable, comme on veut couvrir un peu tous les genres qui me plaisent, mais le faire de façons un peu différentes, on s'est dit aborder la chanson par Ingrid Caven, c'est formidable. Evidemment j'en ai parlé avec David et Thomas avec qui je travaille, on s'est dit c'est formidable si on en vend mille, c'est très bien. On l'a fait dans cette optique-là. On savait que Schühl était en train de finir un bouquin, on savait que ça parlait d'Ingrid Caven, mais on savait pas qu'il aurait le Goncourt, évidemment, donc on a eu beaucoup de chances, ç'a été une très bonne surprise.
D : Et la tournée s'annonce comment ? Vous jouez aux Printemps de Bourges ensemble
BB : Bien bien bien. Elle a chanté à Paris déjà, mais la c'est drôle, ça m'amuse qu'on joue ensemble le même soir, ça va être très différent.
D : C'est un rêve ?
BB : Un plaisir. Et en même temps, c'est pas un stress, mais je ne sais pas comment les deux publics vont cohabiter, ça va être une salle assise, moi j'ai jamais joué devant une salle assise, c'est bizarre.
D : Vous avez dans votre entourage Ingrid Caven, Jean-Jacques Schühl, Yves Adrien, Michel Houellebecq, Philippe Katerine, vous rendez-vous compte que vous n'avez que des personnes géniales autours de vous ?
BB : Ca fait plaisir à entendre. Ca fait plaisir à entendre. Y a un truc, c'est pas très compliqué. C'est vrai qu'il y a beaucoup de gens formidables avec qui on est en contact, mais ça se fait aussi par défaut je pense, pour ces gens-là. Par exemple Caven, c'est quelqu'un d'extraordinaire, mais il y a un an, on aurait parlé à n'importe quelle boite de sortir un disque de Caven Même nous, quand on a fait le disque de Houellebecq, on a fait le tour des grandes maisons pour voir s'il y en avait une qui serait intéressée pour le distribuer, et la plupart des patrons de boites, de grandes sociétés hein, savaient même qui s'était, à l'époque où il était déjà à 400 000 bouquins. Donc ça fait un peu froid dans le dos. Donc faire une espèce de petit arche de Noé de gens un petit peu atypiques, c'est assez facile. Pour nous le plus difficile après, c'est vraiment, disons, on a beaucoup de chances avec les écrivains, si on était aussi fort pour les victoires de la musique qu'on l'est pour les prix littéraires, parce que l'on a aussi Jonathan Coe. Là, j'étais au salon du livre il y a dix jours, j'ai eu l'impression que l'on était plus respecté qu'au Midem.
D : Maintenant j'aimerais vous questionner au sujet de cette mode, la lounge music, j'ai pu lire dans certains magazines que The Sssound of Mmmusic était considéré comme un album lounge
BB : Oui ça m'écure, je me suis toujours inscrit en faux. Le malentendu en France est venu de l'album de Valérie Lemercier qui est un album de pop, que l'on voulait un petit peu à rebours des tendances dans le rock à l'époque, mais on avait pas du tout l'intention de faire un disque d'easy listening, et moi ça m'écure parce que moi, j'ai du travailler sur une soixantaine d'albums, aussi bien avec Einsturzende Neubauten qu'avec les gens de Supergrass, à chaque fois, je trouve qu'il y a un côté très méprisant, quand je fais de la musique, je fais pas de la musique pour que des gens sirotent des Ce qui m'écure c'est que je fais de la musique très triste et mélancolique, et quand les gens n'en voient que l'aspect faussement banal, c'est que vraiment ils n'ont rien compris. Mais bon c'est affligeant, c'est affligeant pour les gens. Pour parler de quelqu'un pour qui j'ai beaucoup de respects, quand les gens m'emmerdent avec Gainsbourg, je leur dis c'est votre problème, c'est vous qui écoutez Gainsbourg, pas moi, moi j'ai écouté, ça m'a intéressé à une époque où ça intéressait personne, mais depuis, ça fait dix ans que j'ai pas écouté ces trucs-la. Mais maintenant les gens écoutent ça et du coup ils voient tout à travers cette grille. Moi ce que j'ai écouté depuis dix ans, c'est Léo Ferrer, mais comme les gens n'écoutent pas Ferrer, personne m'emmerde en me disant " tiens, vous avez fait un truc, ça ressemble à du Ferrer " mais je pourrais très bien montrer, dans tel morceau, ce que j'ai fait est emprunté à Ferrer, dans l'esprit. Mais je pense que c'est un peu triste cet aspect un peu conformiste dans le fait de redécouvrir certaines choses. La plupart des choses qui sont ré-estimées comme ça, elles en valent la peine, il y a plein de musiques qui étaient méprisées, qui le sont moins, et je trouve ça formidable, et je suis sûr qu'il va y en avoir d'autre. Je pense que le prochain, ça va être Jimmy Waid. Tous les ans tout d'un coup, on voit des gens qui n'y connaissaient rien, il y a cinq sept ans, ç'a été les Walker Brothers, un an avant c'était Brian Wilson parce qu'il avait fait la couv' des Inrocks, et il y a une chose comme ça, cycliquement, et je trouve ça, j'adore les Walker Brothers, j'adore Brian Wilson, mais ces espèces de trucs Ce qui est formidable en musique aujourd'hui, c'est qu'on peut tout écouter, si on a pas de hiérarchie, si on est un peu libre, on peut s'intéresser à plein de choses, mais je trouve dommage d'attendre un peu le signal de tel ou tel canard pour se dire que tel truc, qu'on trouvait merdique, est bien. Ca c'est triste. Et après, c'est pas que ça perd son charme mais, ces espèces de ré-évaluations, je trouve qu'il ne faut pas passer d'un extrême à l'autre, moi il y a plein de choses que j'aime en musique qui ont été un peu sous cotées, il y a eu aussi des choses qu'ont été des gros tubes.
D : Le dernier album que vous ayez acheté ?
BB : Ca fait un bout de temps que je ne suis pas allé dans un magasin de disques. Si, la dernière fois que j'ai acheté un disque, c'était à Bordeaux, mais c'était un truc d'occasion, c'était des instrumentaux de rap et des compiles de rocksteady, la collection 100% dynamite. Sans ça, un cd du commerce ? Je sais pas, le dernier truc que j'ai entendu en France, en chanson, ça n'a rien à voir, dans le domaine très chanson, il y a un truc qui passait en radio d'une fille qui s'appelait Lisa Barey, c'est très mainstream mais j'avais trouvé ça très bien fait, ça m'a fait pensé en mieux fait à ce qu'on avait essayé de faire avec April March à l'époque, et j'ai trouve ça très bien ce morceau. Qu'est-ce que j'ai entendu récemment ? J'écoute assez peu les nouveautés en général, mais par peur, pas par manque d'intérêt, mais souvent il me faut plusieurs années, il y a des choses, soit j'ai peur d'être déçu, soit j'ai peur que ça merde parce que j'aime pas. J'ai beaucoup de mal avec les nouveautés, il me faut des années pour digérer. Donc il y a des trucs que je ne connais pas du tout. L'autre jour j'ai écouté Radiohead pour la première fois, c'était même pas Kid A, c'était des trucs d'avant, et j'ai été assez déçu parce que des gens que j'aimais beaucoup m'en ont dit le plus grand bien et je me suis dit ben ouaih mais Bowie il a fait ça dix fois mieux il y a trente ans. Enfin ça m'a pas scié. Mais j'ai peut-être écouté distraitement. Je sais pas, ça m'a pas bluffé.
D : Au niveau des médias, estimez-vous que Tricatel est bien représenté ? On vous voit par exemple rarement à la télé, est-ce quelque chose qui vous manque ?
BB : Très froidement, moi en temps qu'artiste, moins on me voit mieux je me porte, je fais tout ce que l'on me demande avec grand plaisir parce que je trouve que, lorsque l'on a fait des disques sans susciter beaucoup d'intérêts pendant des années et puis qu'il y a des personnes qui s'intéressent à ce que l'on fait, c'est génial, c'est idiot de commencer à faire le capricieux, donc moi je suis très heureux de rencontrer des gens, au contraire c'est un plaisir, mais je trouve qu'il y a vraiment des gens formidables avec nous, dans le public et dans certains médias, il y a vraiment des gens qui s'intéressent, mais on est aussi un label, les gens sont pour ou contre, c'est-à-dire qu'il y a aussi beaucoup de réticences parce qu'il y a beaucoup de malentendus, des gens qui pensent qu'on est vraiment des branleurs, un peu superficiels, mondains etc. parce que l'on a toujours voulu justement masquer l'absence de moyen, on a toujours voulu faire des disques qui sonnent riches sans en avoir le fric, et peut-être parce que j'ai voulu me battre contre cet espèce de puritanisme dans le rock qui est complètement factice, le rock c'est fait maintenant par des petits papys bien pépères qui prennent pas beaucoup de risques, qui jouent un peu sur une sorte de tristesse, en général pour masquer à mon avis leur, je ne sens pas souvent des choses derrière les trucs pseudo-tristes, et moi c'est vrai que dans le rock les choses qui m'ont le plus impressionné c'étaient des gens comme Robert Wyatt qui faisait des choses très tristes mais sans en donner l'apparence, et je trouve que les choses les plus fortes dans le rock ont été faites avec une apparence de désinvolture, de superficialité, les chansons de Ray Devis, c'est les Beach Boys qui passaient vraiment pour des maîtres nageurs alors que c'étaient les chansons les plus belles, les plus tristes qu'on puisse faire. Je suis plus pour cette école-là. Donc qu'il y ait des gens qui s'arrêtent sur la première impression, qui nous prennent un peu pour des rigolos, ça me fait plutôt rigoler, parce qu'en général, en plus en France, il y a toujours eu des trucs pris au sérieux, par exemple, et j'ai rien contre ce groupe, mais sur l'échelle dans le sérieux, c'était Ange quand même, ça s'était sérieux et il y avait d'autres gens qui faisaient des choses sûrement plus intéressantes qui passaient pour des branleurs. A chaque époque on voit des trucs qui paraissent vraiment... Alors là en temps qu'auditeur, je trouve qu'il reste des critiques spontanés, y compris dans l'arbitraire, c'est pour ça que qqn que je ne connaissais pas qui a été formidable avec nous, c'est Manuvre, parce que Manuvre il a un côté très spontané, s'il aime un truc il se dit pas " de quoi je vais avoir l'air si ". Pendant des années Manuvre il a défendu des trucs comme Mothley Crüe (rires), ça a l'avantage de la fraîcheur, la spontanéité, et ça, moi j'ai beaucoup de respect Ces dernières années on est passé deux fois à la télé, en dehors de MTV et M6 qui sont très réglos avec nous, les autres chaînes nous passent pas, on passe pas dans les émissions live de Canal +, ni MCM, ni rien. Les deux fois qu'on est passé c'était April March chez Pascal Sevran et Houellebecq qui était invité par Françoise Hardy chez Michel Drucker, on était super heureux, les gens chez Drucker ont été parfaits, on était heureux, on s'est dit si ça pouvait être comme ça toutes les semaines ça serait génial. Nous notre problème, c'est que les gens entendent beaucoup parler de nous mais nous entendent assez peu, en même temps faut pas se plaindre il y a beaucoup de gens qui s'intéressent à ce qu'on fait, mais on sent qu'il y a encore des réticences. Il y a aussi un phénomène, au début, la presse qui nous a défendus, c'était la presse underground, des canards qui ont une image brancher, et je ne m'étais pas rendu compte à ce moment-là que, parce que moi je suis un provincial vivant à Paris mais, je m'étais pas rendu compte qu'il y avait un tel antagonisme Paris-province, quand la presse parisienne parlait de quelqu'un, surtout un artiste français, en province on a tendance à être très méfiants, au départ, et à se dire c'est pas eux qui vont nous imposer ce qui est bien et pas bien. C'est pour ça qu'on est content de jouer parce que c'est une manière un peu de rétablir les faits, et les gens se font une idée par eux-mêmes sans se dire " oh, c des parisiens et ils se la jouent ". J'ai des amis de province, ils croient que tous les soirs on est en boites de nuits, ils s'imaginent que la vie à Paris est en réalité assez dure, c'est une ville dont les parisiens profitent beaucoup moins que les visiteurs, tout ce qui peut être agréable d'un point de vue culturel à Paris moi j'en profite pas du tout, je prends le bus le matin le métro le soir je vais travailler et puis c'est tout.
D : Une dernière question, c'est difficile pour vous de faire le grand écart entre la production d'un album de Einsturzende Neubauten et la pub de la Twingo ?
BB : Si, parfois j'aimerais bien être l'artiste bien chouchouté comme le sont les artistes sous contrat, où on a en général qu'à s'occuper de soi, à faire ses dix chansons tous les quatre ans. Evidemment, toutes les semaines je me dis comment on va faire, on a un loyer à payer. Je trouve que ça a beaucoup d'inconvénients mais aussi l'avantage, ça force à ne pas devenir l'artiste solitaire qui ne pense qu'à lui. Donc je trouve que c'est pas mal, mais si c'est inconfortable. Là je joue ce soir à Dijon, mais depuis hier je sais qu'on va être viré de nos locaux à Paris parce qu'on a pas payé les deux derniers trimestres, mais bon, tous les jours il y a des trucs comme ça qui arrivent, on s'y fait, et en même temps c'est le prix à payer pour la liberté. Mais ça se paie cher.
D : Bertrand Burgalat, un dernier mot pour conclure cette interview ?
BB : Ben j'espère que le concert va vous plaire. Ce soir, vous restez ?