Interview
d'Ariel Wizman.
Mercredi 5 février 2003, Le Velvet, Clermont-Ferrand.
Lion aux antennes ultrasensibles, troubadour phénoménologique,
hyper-connecté médiatique, Ariel Wizman était à
Clermont-Ferrand pour les soirées Divine!, l'occasion pour nous de
vérifier si le monsieur mérite, ou non, sa réputation
de tête à claques. Questions/Réponses dans les toilettes
du Velvet, pour une interview pas si à chier que ça. En exclusivité
dans L'Opéra des Dieux, l'émission littéraire & musicale
un peu comme à la télé, mais à la radio.
Damien : Bonsoir Monsieur.
Ariel Wizman : Bonsoir Madame.
D : Ca fait très longtemps que je souhaitais te rencontrer, depuis un certain mois de juin 1995 pendant lequel paraissait le numéro 3 d'Univers Interactif. La couverture, c'était W< par Mondino. Quels souvenirs as-tu de cette époque "glorieuse" (ndlr : Ariel Wizman était le rédacteur en chef de ce mensuel) ?
AW : Ben en fait, c'était bien, parce que c'était une époque où nous faisions notre émission de radio avec Edouard Baer (ndlr : La Grosse Boule, sur Radio Nova). Nous faisions ça le matin, et puis l'après-midi je faisais Univers Interactif. J'avais réussi à convaincre un mec qui avait du fric (rires) de faire ce journal. De temps en temps, il venait l'après-midi, il se plaignait : "ouais, tu comprends, j'ai encore perdu vingt briques avec ton truc, ce mois-ci", et je lui disais : "mais non, je te jure, ca va cartonner…". Et il hésitait vachement : "je ne sais pas, je ne sais pas si je vais pouvoir suivre". Et moi : "si si, tu me dois ça, fais-le, fais-le, continue, t'es courageux, vas-y !" Et au bout d'un moment, le mec avait perdu deux millions de francs, et donc il m'a dit : "Euh, j'arrête, j'ai été obligé de revendre un de mes enfants", et moi : "mais ce n'est pas grave, on continue", et lui : "non, non, je te jure", et moi : "pourquoi ?", et lui : "parce que je n'ai plus d'enfant !" Et parce que c'est terrible, mais les chefs d'entreprise, lorsqu'ils sont ruinés, vendent leurs enfants ! (ndlr : le magazine a disparu après seulement onze numéros)
D : C'était quoi le concept d'Univers Interactif ? Mis à part vendre les enfants du patron ?
AW : L'idée à l'époque où nous avions convaincu ce type-là, c'était de faire un journal qui traite d'Internet. Mais en fait, on faisait un journal sur les mouvements underground.
D : En 1995, personne n'avait Internet en France, il n'y avait finalement que vous à l'avoir ?!
AW : Ben en fait, nous n'étions même pas sûr que ça existe vraiment. De temps en temps, nous essayions de nous connecter, mais nous préférions plutôt en entendre parler : dès qu'il y avait un Américain, nous lui disions : "alors, c'est comment Internet ?" Et il disait : "c'est super, vous êtes sur le Web, vous êtes connectés au monde entier, il y a des pages comme ci, il y a des pages comme ça, …" Et nous, avec juste cette petite part de réalité et beaucoup d'imagination, nous extrapolions un magazine.
D : Tu m'as dit que la fin d'Univers Interactif était due aux problèmes de tunes du patron, ce n'était pas également dû un peu à l'ennui des rédacteurs, de toi entre autre ?
AW : Ah non ! Non, pas du tout. Nous étions prêts à y aller comme un seul homme ; nous voulions continuer. Au contraire !
D : Univers Interactif finalement, ce n'était pas grand monde. C'était toi, Viossat, et puis Malnuit…
AW : Ouais, nous étions juste trois ou quatre…
D : Olivier Malnuit, qui a finit chez Technikart !
AW : Qui a mal fini, peut-on dire… Mais il était prédestiné (rires).
D : Venons en à Technikart donc. En mai 1999, ils faisaient un dossier spécial Dandy 2000, où tu faisais la couv' avec Frédéric Beigbeder. Je me permets de citer Patrick Williams : "Evidemment, on nous dira qu'à force de se disperser, les dandys ne créent pas d'œuvre valable. Certes. Wizman, Beigbeder, Burgalat ne sont pas, selon le terme accepté, de "grands artistes". Leurs livres, disques, émissions sont souvent torchés trop rapidement pour avoir un réel impact." C'est ce que tu penses aujourd'hui ?
AW : C¹est vrai, sans aucun doute ! Je ne suis pas dans la concentration, mais plutôt dans la dispersion : je ne pense pas qu'il y ait une énorme urgence à dire ou faire des choses hyper-profondes en ce moment... Je ne crois pas pour autant qu'il faille être obstinément superficiel, mais je préfère dessiner une figure un peu au hasard de ce que je rencontre.
D : Donc, d'après ce que je crois comprendre, tu as une démarche plutôt dictée par la curiosité et l'envie de t'amuser. Pourquoi alors cette non-envie de créer quelque chose qui viendrait marquer ta génération ?
AW : Mais je ne sais même pas à quelle génération j'appartiens !? Aujourd¹hui, j'ai quarante ans et lorsque je regarde autour de moi, je vois parfois des gens qui ont mon âge - l'après-midi. Mais la plupart du temps, je vis la nuit et je croise des gens qui ont vingt ans. Alors « marquer ma génération », non ! Parce que je ne pense pas que les choses importantes soient générationnelles. Après, j'aimerais bien marquer l'histoire de l'Humanité... mais je ne pense pas y parvenir... Franchement ?!
D : Tu n'as même pas un plan ?
AW : Mis à part lire indéfiniment Borges et Proust, je ne vois pas.
D : Et Lévinas, aussi ?
AW : Ouais, aussi. Car, si on peut déjà laisser une trace dans un lit parce qu'on lit beaucoup, c'est bien !
D : Tu as été l'élève de Lévinas (ndlr : philosophe français décédé en 1995). Ca t'a apporté quoi ? Mis à part les quelques pensées profondes que tu viens de me donner ? Dans ta vie de tous les jours ?
AW : D'avoir le regard de quelqu'un de très exigeant au moment où tu te formes, c¹est très important ! Par la suite, j'ai continué dans la philosophie, et je me suis astreint à certaines rigueurs pendant au moins quatre ou cinq années de ma vie. Lévinas a été mon tuteur, en quelque sorte.
D : Ca ne te fait pas chier que tes enfants grandissent dans un monde où
il n'y a plus de philosophe, où c'est juste un mot dans un dictionnaire
?
AW : Moi, je crois que tu te trompes : il n'y a jamais eu autant de philosophes, il n'y a jamais eu autant de pensées. Simplement, ils ne sont pas sur le devant de la scène. Mais avant non plus, ils n'étaient pas sur le devant de la scène… Mais, si tu veux, les choses qui relèvent du choix, du caprice ou de la liberté de choisir sont, à mon avis, moins intéressantes que les choses qui arrivent par nécessité. Je crois qu'un jour on trouvera la nécessité de penser, et ça sera bien mieux que de penser juste comme une pose.
D : Quelqu'un qui est actuellement un peu sur le devant de la scène, c'est Michel Maffesoli, avec qui tu as fait une présentation…(ndlr : sociologue français professeur à la Sorbonne)
AW : Ouais, mais je connais mal. Je ne peux pas vraiment te dire. Je pense que c'est un peu de la foutaise.
D : Dernière foutaise en date donc, La Part du diable, sous-titrée Précis de subversion post-moderne (Flammmarion, 2002). Peux-tu m'expliquer ce que cela signifie selon toi "subversif" aujourd'hui ? Et "post-moderne" ?
AW
: Ce sont des gens qui regrettent leur jeunesse où ils avaient
l'impression que leur révolte pesait un peu sur le monde et leur donnait
une allure. En plus, à une époque de libération sexuelle,
ça leur donnait une espèce de promesse de dominer le chaptel
féminin... Moi en fait, je n'ai vraiment pas besoin de me dire subversif,
je crois plutôt que c'est un problème de passions : quand tu
es jeune, c'est des passions sincères ; quand tu commences à
vieillir, c'est des passions nostalgiques ; et quand tu es vieux, c'est vraiment
des passions bourgeoises, quoi !
D : En 1977, tu avais l'âge d'être punk. Le mouvement punk était
subversif à l'époque, que reste-t-il de cette subversion en
2003 ?
AW : Ben, il était subversif, mais pas socialement. Parce que socialement, n'importe quoi peut être subversif. Maintenant, tu vois des trucs totalement absurdes, du genre Pascal Obispo dire qu'il n'aime pas la télé ou Philippe Sollers qu'il rejette le système littéraire : tout le monde rejette tout ! Mais à l'époque, ça consistait à rejeter tout, plus soi-même, et surtout à rejeter tout et son contraire, c'est-à-dire à n'aimer ni les pacifistes ni les va-t-en guerre, ni les hippies ni les gens d'extrême-droite, … Au fond, c'était la haine généralisée pour trouver des choses nouvelles !
D : Un des derniers punks aujourd'hui, c'est Jacno, avec qui tu as contribué au Tribute to Melville/Delon (Euro-visions). Jacno, c'est quelqu'un que tu aimes beaucoup je crois ?
AW : Ouais ! Jacno, c'est quelqu'un qui a déjà goûté au côté sucré du punk. Parce que le punk, ça a un coté lollypop aussi. Ca a un coté adolescence capricieuse, un côté jeune mec de banlieue qui se prend pour un héritier de Monaco. (rires)
D : En 1977, il y avait Asphalt Jungle (ndlr : groupe punk mené par Patrick Eudeline). Vingt cinq ans plus tard, il y a Asphalte Hurlante, l'album de tes amis de La Caution. C'est le même esprit ?
AW : Moi, je crois qu'on ne peut pas comparer La Caution à autre chose ! C'est un truc unique. Vraiment ! C'est un groupe unique dans l'histoire du hip-hop. Ils sont beaucoup plus inspirés de la science-fiction que de la réalité sociale, ce qui prouve donc que le hip-hop, après vingt ans d'existence, peut commencer à espérer être un art.
D : Avec des groupes comme La Caution, mais aussi TTC, leurs potes ?
AW : Ouais TTC ! Mais TTC ils sont plutôt dans le genre marrant.
D : Tu as participé au clip de La Caution. Tu fais également des soirées avec DJ Pone, le DJ de Triptik et des Svinkels. Comment t'es-tu retrouvé avec ces racailles ?
AW : Moi j'ai toujours fréquenté des racailles et des voyous de tout genre. Que ce soit le vieux mafieux juif, le jeune racaille de banlieue, le gitan tireur de portefeuilles, le flamenco toxico, le glam-rock pédophile ou le serial-killer guatémaltèque, j'ai toujours fréquenté de la racaille, à partir du moment où elle est correcte biensûr, et où elle passe pas trop à l'action ! Non, Pone, c'est le meilleur scratcheur, et c'est le mec qui est dans le hip-hop parce que si tu fais du scratch, tu es obligé d'être dans le hip-hop. Mais en fait, il en a rien à foutre !
D : Tu as cité beaucoup de racailles, mais tu as oublié de parler de la racaille de la télé ?!
AW : Ouais, ça c'est une racaille que j'ai bien fréquentée aussi ! Mais enfin, pas trop non plus, je te rassure. C'est plutôt une racaille que j'appelle de temps à autre, quand j'ai besoin d'argent (rires).
D : Parlons projet, et ce qui va arriver maintenant. Un deuxième album du Grand Popo Football Club ?
AW : Ouais, on le prépare, mais c'est long. Surtout quand on est paresseux quoi ! C'est long. Par contre, ca va être bien, oulala, ca va être terrible !
D : Le premier album, Shampoo Victims, s'était bien vendu, mais avait été tout de même boudé par une certaine population.
AW : Ah, qu'est ce que tu veux, quand on a décidé qu'on s'y connaît en musique alors qu'on n'a jamais rien écouté de sa vie… Tu ne peux pas demander aux gens de se construire un cerveau du jour au lendemain ! Et des oreilles, tu voix ? Il n'y a qu'au parc Asterix ou Mickey où on peut s'acheter des oreilles sur mesure (rires) !
D : Les personnes qui te connaissent bien vantent ton talent, ton intelligence et ta gentillesse… A l'opposée, il y a beaucoup de gens qui te voient à la télé, qui écoutent ta musique, et qui te trouvent chiant et arrogant, et qui te détestent. Ca vient d'où cette dualité ?
AW : Ben moi je ne sais pas ! Mais ça ne me gène pas plus que ça que l'on ne m'aime pas. De toute façon, la plupart du temps, on sous-estime la part de jalousie chez les gens. Parce que, la plupart des gens, ils ne m'aiment pas, mais en fait ils aimeraient bien être moi, aussi ! Donc, je n'ai rien à leur dire de spécial, j'aime bien tout le monde moi. Du moment que l'on ne m'empêche pas de vivre… En revanche, là-dessus, je suis très égoïste, c'est-à-dire qu'en règle générale, je suis très généreux, j'aime bien donner, mais, à partir du moment où il y a des trucs qui gênent les autres et dont je ne vois pas le fondement, et ben je m'en fous. C'est l'égoïsme sacré quoi !
D : D'autres projets ? Tu parlais de tes copains racaille de la télé pour gagner de l'argent…
AW : Y a plein de choses, genre, il y avait un projet vachement bien sur Canal +, mais là, ça semble un peu compromis ! Sinon, des trucs sur France 3, ça sera à 1H du matin, carte blanche. Moi ça m'intéresse, j'ai vraiment envie d'avoir un truc à moi, presque une scène de théâtre où on fait ce qu'on veut…
D : Un peu comme l'Appartement sur Canal + ?
AW
: Ouais un peu, mais en bien pire !
D : Autres milieux où tu peux gagner de l'argent facilement, c'est
le cinéma, et la littérature. Ca te tente, tu aimerais bien
t'y mettre ?
AW : Le cinéma, oui oui, je veux absolument m'y mettre. Parce que c'est excitant et facile… Moi je pense que c'est facile. Au moins le début est facile, et après on apprend et on fait des trucs plus durs. Et puis la littérature, pour moi, c'est une chose que je prends tellement au sérieux… Donc, le coté wannabe littéraire… Encore une fois, il ne faut pas écrire des choses juste par choix ou parce qu'on se prend pour un grand esprit, il faut écrire quand on a pas le choix ! Lorsque cela devient nécessaire.
D : N'est-ce pas un peu dangereux de faire du cinéma lorsque tu as déjà animé une émission dessus avant (ndlr : Cinébus sur La Cinquième) ? N'est-ce pas faire du copinage avant de rentrer dans le club ?
AW : Non non, les choses ne coexisteront pas, je te rassure !
D : Et Francis, il devient quoi ?
AW : Ben il est là, il est dans Cinébus, et il fait aussi des trucs, malheureusement, avec le terrible Chico… Mais bon, il n'y peut rien, il faut bien qu'il gagne sa croûte le pauvre chéri, il va quand même pas vendre son cul qui est tout plat (rires).
D : Il vient d'où Francis ? Parce que tu es célèbre, Edouard Baer est célèbre, et lui le troisième, on ne sait pas qui c'est ?
AW : Ben, il est arrivé comme le troisième, à un moment où Edouard et moi ne nous entendions plus, parce que nous avons eu un moment un peu de brouille. En fait, j'ai rencontré Francis dans une fête, et je l'ai présenté à Edouard qui l'a détesté. Mais après notre réconciliation, Edouard l'a adoré. Maintenant, il travaille avec Edouard, il travaille avec moi… Mais c'est un mec qui vient de chez ses parents… Il ne foutait rien pendant des siècles chez ses parents !
D : Donc, il est devenu un peu votre maîtresse à vous deux ?
AW : Ouais, on se le refile. Dès qu'on a l'occasion. Mais on l'aime, c'est vraiment un mec extraordinaire ! Edouard et moi, nous avons appris énormément de lui.
D : Dernière question, et celle-là, c'est plus pour moi que pour les lecteurs, j'aimerais que tu me donnes un conseil. Au cas où je me ferais virer de mon job et que je veuille rentrer dans la télé ou la radio, quel conseil peux-tu me donner ?
AW : Ecoutes, euh… ? Fais confiance aux femmes ! Fais confiance aux femmes. Chaque fois que tu hésites, parles-en avec une femme, demandes-lui un conseil. Une femme terre à terre de préférence, une femme qui a eut plus de deux enfants… Et, expose-lui la situation franco, à mon avis, elle sera capable de te donner la solution.
D : OK, merci !
AW
: Il n'y a que les femmes pour nous faire réussir et nous
rendre forts !