Interview d'Ann SCOTT

Le 07 mars 2001, 16h00.
Librairie Le Temps des Cerises, Clermont-Ferrand.


Damien : Nous avons beaucoup de points communs, Marylin Manson, les pommes dauphines, le coca en bouteilles en verre, Technikart, vivre les volets fermés, les T-shirts personnalisés (ndlr : je lui montre mon T-shirt Technikrad), l'Opera de quat' sous de Kurt Weil, et David Bowie, surtout David Bowie.

Ann : Quelle(s) période(s) de David Bowie ?

D : Heu ?! Quasi tout depuis Space Oddity, jusqu'à Heroes, et ce qu'il a fait en 95-96 avec

A : Reeves Gabriels. Moi j'ai Heroes tatoué là (ndlr : Ann me désigne le bas de son ventre).

D : Sur le Technikart, c 'est toi en photo, sur le French Tour ?

A : Non, c'est la fille qui est Alex dans le bouquin

D : Delphine (ndlr : plus connue sous le pseudo de Sextoy)

A : Tu connais Delphine ?

D : Pas personnellement.

A : On a le même tatouage

D : Dans le bouquin, ce sont vos prénoms qui sont tatoués

A : Et dans la vraie vie c'est le morceau de Bowie.

D : Est-ce que tu connais la reprise d'Aphex Twin ?

A : De Heroes ? Non.

D : En fait, c'est Heroes Symphony, c'est Heroes repris par Philipp Glass, et c'est la version de Glass remixée par Aphex Twin.

A : Moi je connais une version française de Heroes par Bowie, qui date de fin... 80 je crois, mais non je connais pas, c'est sur quel disque, c'est Aphex Twin ou c'est Richard D. James ?

D : Je sais pas, j'ai trouvé ça sur internet.

A : Ah, pas mal !

Damien : Je vérifie que l'on entend bien. Tu peux parler s'il te plaît.

Ann SCOTT : Je suis très impressionnée d'entendre parler d'Aphex Twin à Clermont-Ferrand.

D : Mais je suis pas de Clermont moi, je suis de Dijon

A : Et c'est encore plus loin

D : Ouais mais c'est vraiment à la pointe de la musique électronique. Derrick May, Jeff Mills, Romanthony, Marshall Jefferson sont déjà venus à l'Anfer...

A : C'est mieux qu'à Paris dis donc !

D : Tu parles du Pulp, du Rex dans Superstars, tu sors beaucoup ?

A : Non, j'ai pas le temps, je travaille. Non non, à une période, quand j'étais avec Delphine, je la suivais partout mais c'était pas le Rex, elle travaillait pas encore au Rex, c'était plus la province.

D : J'ai le souvenir d'avoir déjà vu Jennifer à Dijon

A : J'ai jamais suivi Jennifer sur des dates mais... ah, mais tu sais que Jennifer est Jessy dans le bouquin ?

D : Ouais

A : Ah ?! Comment tu savais ?

D : Jessy, Jennifer !

A : On parle toujours de Delphine, on parle jamais de Jennifer

D : Et Delphine et Jennifer c'est Pussykiller !

A : Waouh elles sont connues jusqu'ici...

D : Pas beaucoup de sortie en club alors ?

A : Au Rex, le vendredi soir de temps en temps, pour les soirées Automatik, mais c'est tout. Le Rex une fois par mois. Voilà.

D : Et ton plus lointain souvenir en club ?

A : Euh, le Palace en 1980, ou quelque chose comme ça, un concert de Prince, j'avais quinze ans.

D : T'as pas été dame pipi

A : Au Palace ouais, et aux Bains Douches après.

Damien : Moi je naissais en 1980.

Ann SCOTT : C'est vrai, tu as ... vingt ans

D : Vingt et un bientôt.

A : Waouh !

D : Ton meilleur souvenir en club ? Niveau musique, ambiance, les deux ?

A : Je dirais un concert des Jam, tu connais les Jam, c'était un groupe, sur la fin du punk en 77, à Londres dans une boîte qui s'appelait le Sans-club, qui était un club de rythm n'blues sur Oxford Street, toute petite salle. Non c'est pas vrai, c 'est pas ça mon meilleur souvenir, n'importe quelle soirée au Palace dans les années 80

D : C'est vrai ?

A : Ouais.

D : Avec Mick Jagger et compagnie qui se mettaient dans des états pas possibles

A : J'ai jamais vu Mick Jagger, mais j'ai vu Liz Taylor, Nourayef, des gens comme ça, c'était ça, des gens comme Basquiat, Keath Haering. Sinon récemment, Plastikman au Rex l'année dernière, Dj Rush au Rex y a trois mois, y a toujours des trucs bien en fait. Mais le truc si tu veux c'est que maintenant y a des bons sets, des bons concerts, mais il y a plus tout ce qu'il y a autours, alors qu'avant c'était l'époque tu vois

D : Toute la mise en scène ?

A : Tout ce qu'il y avait autours, la dégaine des gens, le choix des gens qui étaient là, ça reste des années du Palace. Aujourd'hui tu vas au Rex, la musique est bonne mais les gens ont des têtes de cons ou alors ils sont mal sapés, mais la musique est bonne, le son est tellement incroyable, mais sinon pour l'ambiance totale, le Palace, n'importe quel concert au Palace, même un truc comme Kid Creole dont je n'ai rien à foutre, espèce de truc à la con des années 80, mais rien que le fait que ce soit au Palace il y avait une dimension, une élégance, un truc d'ambiance, et puis il y a plein de gens qui sont morts maintenant, alors forcement c'est des trucs qui restent.

D : Pacadis...

A : Oui, Alain Pacadis au Palace, n'importe quelle nuit avec Pacadis au Palace y a vingt, vingt ans waouh ! Quand on a vingt ans on imagine pas qu'un jour on pourra dire y a vingt je faisais ça ça ou ça, c'est très bizarre.

D : Dans vingt ans je dirai il y a vingt ans j'interviewais Ann Scott

A : Ouais et tu rigoleras parce que tu diras maintenant j'ai des souvenirs qui ont vingt ans alors qu'aujourd'hui, c'est impensable dans ta tête.

D : C'est l'intensité ou la distance temporelle ?

A : La distance temporelle, je trouve ça choquant, moi je me souviens quand je me suis dit en l'an 2000 j'aurai trente je sais pas combien, 34, 33 ans, l'an 2000 non mais attends c'était, l'an 2000 c'était la BD de Margerin avec tu sais le génie qui sort de la bouteille et dit je voudrais voir comment ça sera en 2000 et il traverse la rue et il y a un chien avec une combinaison spatiale et des soucoupes volantes, c'était ça pour moi l'an 2000. Et ben pas du tout.

Damien : La distorsion entre les clubs anglais et français ?

Ann SCOTT : Je sais pas parce que je suis allée à Londres pour la première fois depuis treize ans il y a trois mois et j'étais dans une soirée privée et donc j'ai pas vu les clubs. C'était le Technitrain, et j'ai rien vu, j'ai juste vu que les Anglais étaient agressifs, qu'ils avaient l'air de détester les Français, que la musique c'était de la merde, mais c'était pas une soirée techno, c'était un truc genre house, happy house

D : Avec le musée avant

A : Tu y es allé aussi ?

D : Ben non, j'aurais bien aimé, mais non.

A : C'était très bien organisé mais la boite c'était nulle c'était trop grand, ceux qui étaient en bas ne pouvaient pas monter, les autres pouvaient pas descendre on a été séparé pendant six heures, donc moi je me suis tirée, mais sinon c'était bien organisé ça partait vraiment d'un bon sentiment le train était confortable ce que l'on a mangé dans le train était bon, l'expo était intéressante, c'est pas la faute de Technikart, c'est juste que sur place, les Anglais c'est pas terrible quoi. Et donc la différence entre les clubs anglais et français, j'en sais rien, j'ai l'impression que l'Angleterre est plus house que techno mais je peux me tromper. Mais moi j'ai plus du tout envie d'aller dans des clubs, j'ai envie d'aller dans les free parties, mais je sais pas si ça existe encore, des vraies free parties avec des vrais travellers, des choses comme ça tu vois, mais la musique est un peu trop dure pour moi.

D : A un moment dans le bouquin, Jessy et Alex sont dans une boite à Reims

A : A Reims ?! C'est pas Reims, ça s'appelle comment, j'avais trouvé ça sur un atlas, je cherchais la ville qui avait le nom le plus con de la France, c'était quoi, c'est pas Reims, c'est pas Barre sur Aubes c'est, je sais pas tu veux qu'on trouve un bouquin pour voir le nom de la ville ?

D : Non c'est bon, juste pour, la distorsion entre les clubs à Paris, le Rex, le Pulp je mettrais ça à part

A : Ouais

D : Le Rex et les clubs en province ?

A : Moi j'ai juste suivi Delphine, c'était des dates grosses mais pas immenses tu vois, j'ai jamais vu personne en province à part je sais pas moi comment il s'appelle celui qui mixe dans une chaise, Paul Johnson, des gens comme ça tu vois, c'était de la house plutôt, c'était les Transmusicales de Rennes, c'était un festival ça n'a rien à voir, je pense que la province c'est beaucoup mieux quand les bons djs se déplacent il y a un bon public, et surtout pour les raves c'est mieux.

D : Il n'y a pas que des ploucs en province ?

A : Non je ne pense pas du tout que le public en province soit des ploucs, en revanche il y a des organisateurs qui louent des salles beaucoup trop grandes qu'ils remplissent avec des ploucs tu vois, parce qu'ils n'annoncent pas aux bons endroits la soirée, donc c'est vrai que nous nous sommes retrouvées dans pleins de villes avec Delphine où, attends Dijon l'Anfer, je suis allée dans un truc à Dijon, non je trouve que c'est mieux, c'est beaucoup mieux en province, sauf pour les bars, je préfère les bars à Paris parce que tu as plus de chances de trouver des gens que tu ne connais pas alors qu'en province tu as des bandes de gens qui se connaissent tous. Les clubs en province je pense que c'est mieux parce que les gens qui font l'effort de venir là c'est que ça leur plait, en revanche les grosses boites à capacité de deux trois milles personnes sur les nationales je pense que ça foire tout le temps parce que c'est tous les gens du coin qui viennent et c'est pas forcément ce qu'ils ont envie d'entendre, ils préfèrent entendre de l'eurodance, ils se font chier et donc toi tu te fais chier à mettre les disques du résident parce que personne veut écouter les tiens, dès que tu mets un bon truc tu vides la piste, enfin l'expérience avec Delphine c'était ça, plus de mille personnes c'était à chier, quand ça restait des capacités de club c'était bien, toujours bien.

D : Il n'y a donc pas beautiful people à Paris et les autres c'est de la merde ?

A : Non, mais beautiful people c'est plus sur les vêtements le visage c'est pas sur la qualité de l'oreille, c'est pas sur l'état d'esprit culturel et social des gens.

D : Pourtant, c'est l'idée que j'ai retrouvé dans Superstars, que le monde de l'electro maintenant c'est la gueule et les sappes, qu'il fallait être beau et bien habillé

A : Ben je sais pas parce que le bouquin il a un coté très 80 tu vois, il y a tout le temps des flashbacks sur le Palace, le coté rock de la chose, moi je pense que c'était là qu'on pouvait trouver des gens avec des allures incroyables, qui avaient un coté petite star d'un week-end, alors qu'au Rex il y a des gens habillés n'importe commun ils en ont rien à foutre, non je ne vois pas de gen qui m'impressionne physiquement à Paris, mais c'est pas du tout un truc de beauté plastique, c'est un truc d'allure, façon de s'habiller, de mélanger les styles de vêtements, se coiffer, moi j'en vois pas souvent ou alors dans les vieux films de Warhol tu vois, moi je vis un peu dans le passé pour ça, les gens que je vois à Paris me fascinent pas du tout.

D : Pourquoi rester à Paris alors ? Les amis ?

A : Ben euh non, ... Ah tu veux dire venir en province? Non, je pense que je serais trop à l'étroit, moi j'aime bien traverser la ville la nuit, passer devant un truc rentrer dedans pas savoir où c'est, un quartier que je connais pas... Je pense que la province tu finis par connaître la ville très vite et puis je suis pas très sociable, j'ai pas de bande d'amis, je fais les choses seule, et en province tu peux pas être seule, tu connais tout de suite tout le monde je crois, c'est pas mon truc.


20h00. Restaurant Emmanuel Hodencq.
Au menu, magrets de canard, pommes de terre, coca en bouteilles en verre.



Damien : ... Dans ton bouquin, elle dit avec Inès on partira en Amérique on fera Thelma et Louise, et dans trois ans il faudra mourir pour être tranquille, pour rester sur une idée de bonheur

Ann SCOTT : C'est vrai que c'est plus utopique d'être dans une histoire qui s'arrête, où t'es fauché par la mort plutôt que d'être dans une histoire qui se dégrade, c'est tellement horrible quelqu'un qui arrête de t'aimer ou quelqu'un qui ne t'aime plus, mais bon j'étais encore immature quand j'ai écrit ça.

D : En parlant d'immaturité, j'ai lu ton bouquin sans a priori sur le monde homosexuel féminin, alors je ne sais pas si tu as voulu écrire une satire ou si c'est comme ça que tu l'as senti, mais les histoires entre filles m'ont semblé être des enfantillages, ça fait vraiment cour de collège.

A : Ben je peux pas te dire que c'est vraiment comme ça parce qu'il y a plein de gens qui ne le vivent pas comme ça, mais moi je l'ai vécu comme ça, c'est pas mal comme ça, il y a des exceptions, il y a des filles qui sont sûrement plus mures et qui le vivent mieux que ça, mais moi j'ai vu ça comme ça, vraiment, c'est vraiment ça, c'est la cour de récré.

D : En parlant de cour de récré, j'ai été faire un petit tour sur le forum du Pulp

A : (rires) Oui, et ?

D : On y apprend des trucs, on y apprend, ce qui parait évident à la lecture de Superstars, qu'elles n'ont pas beaucoup apprécié leur portrait

A : Tu as lu l'espèce de justification que j'ai faite ?

D : Ouais

A : Ouais je suis rentrée une nuit à quatre heures du matin on m'avait laissé un message en disant vas sur le www machin pulp, j'y suis allée, j'arrivais pas à dormir j'avais pris plein de coke, et je me suis énervée, y avait cinquante messages et au cinquantième j'ai pété un câble et j'ai répondu des pages des pages et des pages et après ça a réalimenté le truc alors qu'apparemment les messages étaient vieux, ça a relancé, elles ont recommencé à en parler, j'en pouvais plus, après il y en a qui sont venues à une signature, je les ai rencontrées on en a parlé elles ont rajouté leur idée de la rencontre tout ça, et ça traîne en longueur cette histoire

D : Ben apparemment ce que j'ai lu ça devait être la fin, le dialogue avec Estelle

A : Estelle je l'ai vue, j'ai dîné avec elle, elle vient de Grenoble, elle a une image de Paris et des gens qui sont dans le livre tellement glamour tellement, alors que c'est toutes des garces quoi, celles qui sont dans le bouquin y en a je les aime profondément mais c'est quand même des garces, forcement quand tu vois ça de l'extérieur tu vis pas ça pareil, j'ai essayé de lui dire qu'elle se plantait un peu sur l'image qu'elle en avait, mais en même temps c'est bien qu'elle ait une image positive de tous ces gens, parce que moi j'en ai une image négat, enfin parfois négative par rapport au vécu que j'ai avec, mais ces filles-là ne sont pas des gens négatifs, c'est juste que moi j'ai eu des relations négatives avec elles, mais je suis certaine qu'elles ont des relations vachement bien avec d'autres gens tu vois, même en amitié, je veux pas les condamner non plus.

D : Je coupe le micro et on mange ?

A : Tu as finis tes questions ?

D : Non, mais c'est pas grave, on continue off.